" Mes amis , réveillons-nous . Assez d'injustices ! " L'Abbé Pierre

jeudi 28 avril 2011

Bouleversant , le récit de Blandine par Edouard Laboulaye : laissez-vous tenter !

Blandine l’esclave martyr

RÉCIT HISTORIQUE
par
Édouard LABOULAYE

De toutes les vertus qui honorent une femme, la plus belle et la plus précieuse, sans contredit, c’est la piété, car elle contient en soi toutes les autres : la charité, le sacrifice, la modestie, le courage, l’amour de la justice et de la vérité. Les femmes de France se sont toujours distinguées par leur piété ; depuis la reine Bathilde et la mère de saint Louis jusqu’à Jeanne d’Arc, depuis sainte Geneviève jusqu’à l’épouse de Louis XV, la reine Marie Leckzinska, on peut citer auprès du trône, comme dans les conditions les plus obscures, une foule de femmes devenues célèbres par leur sainteté, non moins que par leur courage et par leur esprit. Mais parmi tous les noms qui sont venus jusqu’à nous et qu’entoure la vénération des siècles, il n’en est pas un qui mérite d’être conservé avec plus de respect que celui de la pauvre esclave Blandine, la première victime de la persécution païenne dans les Gaules, la première martyre de Lyon.

On sait que le christianisme vint de bonne heure en notre pays. Il y fut apporté par les disciples de saint Jean, venus d’Orient pour répandre la bonne nouvelle dans les Gaules. Dès le milieu du second siècle après Jésus-Christ, au temps de l’empereur Marc Aurèle, nous trouvons à Lyon une Église déjà florissante, quoique cachée ; cette Église a pour chef Pontinus, vieillard de plus de quatre-vingt-dix ans, qui avait dû entendre à Éphèse le disciple bien-aimé du Seigneur. Des chrétiens venus de la Grèce et d’Asie, des Romains et des Gaulois convertis, composaient la communauté nouvelle ; rien n’y manquait, pas même des esclaves instruits par leur maître. C’était là le spectacle jusqu’alors inconnu que donnait le christianisme ; pour la première fois l’esclave était traité comme un homme, et non plus une brute ; pour la première fois, le riche et le puissant respectaient dans le pauvre et l’opprimé une âme immortelle, rachetée par Jésus-Christ.

Les chrétiens étaient odieux aux païens ; leur religion, disait-on, était contraire aux lois de l’empire. Les païens ne se trompaient pas dans leur jugement. Les lois de l’empire soumettaient la conscience au prince ; c’était l’empereur, c’était le sénat qui décidaient quels dieux on devait adorer. Il n’est pas douteux que les chrétiens ne reconnaissaient pas cette tyrannie ; aucun d’eux ne voulait s’avilir devant ces dieux de pierre et de bois, que des gens corrompus et pervers prétendaient imposer à la crédulité populaire ; les fidèles préféraient la mort au mensonge et au déshonneur ; c’est pour cela qu’ils étaient saints et grands.

Un autre reproche que les païens faisaient aux chrétiens, une autre cause de haine et de mépris, c’est que les chrétiens, disaient-ils, étaient insociables. On ne les voyait jamais aux fêtes publiques ; jamais ils ne prenaient part à ces spectacles que les empereurs prodiguaient au peuple pour lui faire oublier sa servitude. En ce point encore, les païens avaient raison. Ces jeux qui faisaient la joie des Romains, ces chasses du cirque où des bêtes farouches déchiraient des malheureux sans défense, ces combats de gladiateurs où des esclaves s’entre-tuaient pour amuser l’oisiveté romaine, tout cela faisait horreur aux chrétiens. Ils vivaient loin de ce monde cruel et débauché ; ils se réunissaient entre eux comme des frères, communiant à la même table, ne cherchant d’autre plaisir que celui de s’entr’aimer et de servir Dieu d’un même coeur.

Ce qu’il y a de plus odieux aux hommes, et surtout aux grands, c’est qu’on ne partage ni leurs idées ni leurs amusements ; on commença par dédaigner les chrétiens ; on voulut bientôt les obliger de faire comme la foule et d’adorer les caprices de l’empereur. Ils résistèrent ; cette résistance fut un crime de lèse-majesté ; il fallait que dans l’empire il n’y eût d’autre volonté, d’autre pensée que celle du souverain. Marc Aurèle était un grand prince, sévère avec lui-même, sobre, courageux ; il avait toutes les vertus d’un soldat et d’un philosophe, mais il était empereur, et à ce titre, imbu de tous les préjugés de la puissance. La loi défendait aux chrétiens d’exister ; Mare Aurèle ne s’inquiéta pas de savoir si cette loi était injuste et cruelle ; il ne doutait pas qu’il n’eût le droit d’ordonner tout ce qui lui plaisait. Il avait autour de lui de savants conseillers qui lui prêtaient chaque jour cette maxime despotique : L’empereur était dieu, le Romain n’était qu’un esclave qui devait obéir et tout sacrifier, fût-ce même sa conscience. C’est ainsi que, malgré ses belles qualités et sa douceur, Marc Aurèle en arriva à la persécution.

Cette persécution commença à Lyon vers l’an 177 ; elle commença, comme de coutume, non par une accusation régulière, mais par des émeutes. La populace connaissait toujours les chrétiens ; c’étaient ces gens sévères et tristes qu’on ne voyait ni dans les temples, ni aux jeux, ni aux fêtes ; chacun pouvait les désigner du doigt comme des impies et des athées, car on ne les voyait jamais adorer les dieux de la patrie. On insulta les chrétiens dans la rue ; on les chassa de la place publique, où, suivant l’usage romain, les citoyens se réunissaient tous les jours, et on leur interdit les bains publics : on les força de se renfermer chez eux et de se cacher comme des criminels. Si, par hasard, on les rencontrait au dehors, la foule ameutée leur jetait des pierres ; on les frappait ; on pillait leurs maisons ; toute injure était sainte et toute violence légitime quand la victime portait le nom odieux de chrétien.

Il semble que les magistrats auraient dû protéger des innocents contre de pareils outrages ; car, dans un pays civilisé, il n’est pas permis d’user de violence, même contre un criminel reconnu, même contre un assassin avéré ; mais il n’y avait pas de justice pour les chrétiens ; ils étaient hors la loi. Le peuple qui les lapidait, les traînait devant le magistrat après les avoir insultés et demandait leur mort à grands cris. Le proconsul, quelle que fût son opinion, ne pouvait hésiter à punir les malheureux qu’on lui amenait ; la pitié et l’indulgence l’eussent rendu suspect à l’empereur. Il fallait donc punir comme des assassins des gens dont le seul forfait était de ne point sacrifier à de vaines idoles. Constater le crime n’était pas difficile ; ce crime, c’était de s’avouer chrétien, et jamais un fidèle ne reculait devant cet aveu. D’ordinaire il oubliait son nom, sa patrie, sa naissance, sa condition ; et à toutes les questions que lui adressait le proconsul il ne répondait que ces mots : « Je suis chrétien », ou : « Je suis l’esclave du Christ. » Ces mots, c’était l’arrêt du supplice et de la mort.

Le supplice était affreux : c’était la torture avec toutes ses horreurs. Tuer un chrétien, c’était, pour le magistrat, se reconnaître vaincu : celui qu’il avait tué était désormais un martyr, un témoin mort pour rendre hommage à Jésus-Christ. L’exemple de son courage engendrait de nouveaux dévouements, et il n’était pas rare qu’à la vue de la cruauté des bourreaux, de l’injustice des magistrats et du courage des fidèles, plus d’un païen ne se déclarât publiquement chrétien et ne demandât à mourir. « Le sang des martyrs, s’écriait un Père de l’Église, le fougueux Tertullien, c’est de la graine de chrétiens. » Il fallait donc non pas tuer le prisonnier, mais lui faire souffrir de tels supplices que la douleur le contraignit à se rétracter. C’était la triste victoire que poursuivait le magistrat, à force de menaces et de violences. Que la victime, vaincue par la douleur, dit un mot, qu’elle brûlât un grain d’encens à la statue du divin empereur, elle était libre et souvent récompensée ; mais si le chrétien préférait la vérité à la honte, on épuisait après lui toutes les inventions de la rage humaine, pour arracher à sa bouche meurtrie un soupir qu’on pût transformer en aveu. Le fer, le feu, rien n’était épargné par les bourreaux ; tant qu’un membre palpitait encore, tant qu’il restait autre chose qu’un cadavre, on s’acharnait après le martyr ; il n’y avait de salut pour lui que dans la mort, qu’on lui faisait atteindre si lentement et qu’on lui vendait si cher.

On conçoit donc quelle fut la terreur des chrétiens de Lyon quand la foule se mit à les poursuivre et à les livrer au magistrat. Ce n’était pas seulement la torture de la mort qui les effrayait, c’était aussi la crainte que parmi les fidèles il s’en trouvât quelques-uns qui n’eussent ni assez de courage ni assez d’énergie pour résister aux bourreaux. C’était toujours la grande inquiétude ; la rétractation d’un chrétien, son retour au paganisme, c’était la vraie et la seule défaite que redoutassent les disciples du Christ.

Il y avait surtout une classe de chrétiens pour qui la tentation de céder était bien forte : c’étaient les esclaves : s’ils adoraient la statue impériale, s’ils chargeaient leurs maîtres, on leur offrait d’ordinaire de l’argent et la liberté. Aussi voit-on, dans ces persécutions, qu’on commence par arrêter les esclaves, païens et chrétiens, et qu’on les présente à la torture pour les contraindre à déposer contre leurs patrons. C’est ce qui se fit à Lyon, et aussitôt parurent ces accusations stupides, que dans tous les temps on a imputées aux gens que poursuit la haine publique. « Les chrétiens, disaient les esclaves, se réunissent à des banquets communs ; là on égorge un enfant et on en boit le sang. » C’est ce qu’on nommait les festins de Thyeste, en souvenir de ce personnage fabuleux à qui son frère Atrée, par une vengeance abominable, fit servir la chair même de son fils. De pareilles calomnies sont si odieuses qu’il semble impossible de les croire. Mais la haine ne raisonne pas.

Parmi les esclaves arrêtés à Lyon, il y avait une femme nommée Blandine ; c’était une chrétienne que sa maîtresse avait convertie. Elle était de petite taille, faible et délicate ; aussi sa maîtresse, qui avait vaillamment affronté la torture, craignait-elle que la pauvre esclave ne fût pas de force à combattre avec le bourreau. C’était le souci de tous les frères (ainsi se nommaient entre eux les chrétiens) ; tous, captifs ou non, assistaient à ce terrible spectacle, pour s’encourager les uns les autres et s’animer à mourir pour la vérité.

On livra Blandine aux bourreaux ; c’était une esclave ; on n’avait rien à ménager avec ces créatures que dédaignait l’orgueil antique. Les Romains avaient moins de souci d’un esclave que nous n’en avons aujourd’hui d’un boeuf ou d’un cheval. Blandine fut mise à la torture ; il semblait que du premier coup on allait briser ses membres délicats, ou forcer la pauvre femme à crier grâce ; mais l’esprit de Jésus-Christ l’animait ; elle résista avec un courage héroïque et une force surhumaine. Depuis le point du jour jusqu’au coucher du soleil, supplices et bourreaux se succédèrent ; on s’acharna sur ce corps déchiré de coups et qui n’avait déjà plus forme humaine ; on le lacéra avec des ongles de fer ; on le troua de toutes parts ; plus d’une fois le chevalet rompit sous l’effort des cordes qui tendaient les membres de la victime, rien ne put réduire la noble martyre. « Elle était, dit le récit contemporain, comme un généreux athlète. La douleur même ranimait ses forces et son courage. On eût dit qu’elle oubliait ses souffrances et qu’elle trouvait le repos et une énergie nouvelle dans ces mots, qu’elle répétait sans cesse : Je suis chrétienne ; chez nous on ne fait rien de mal. »

Quand la nuit fut venue, on la jeta pêle-mêle avec les autres martyrs dans une prison obscure et sans air ; on lui plaça les pieds sur un bloc de bois, troué de place en place, si bien que la pauvre victime ne put même pas trouver de repos pour son corps brisé ; on la réservait pour un supplice plus éclatant. Elle avait bravé le proconsul et vaincu la menace des lois humaines, il lui fallait maintenant servir aux plaisirs sanglants du peuple ; c’est à l’amphithéâtre, un jour de fête, qu’elle devait mourir.

Pour hâter la vengeance et pour animer la rage populaire, le proconsul ordonna des jeux extraordinaires. Il s’était promis d’amuser la foule ; aussi chaque martyr devait-il mourir par un supplice particulier. Loin de s’effrayer de cette terrible épreuve, les frères voyaient arriver avec joie le jour et l’heure des tourments. La délivrance approchait. Ces supplices divers, qui allaient les réunir dans une même mort, c’était, disaient-ils, comme autant de fleurs de couleurs variées qui formaient une même couronne d’immortalité, offrande digne de plaire au Seigneur.

Parmi les martyrs réservés aux bêtes de l’amphithéâtre, on avait mis les plus courageux, ceux qui, après avoir lassé les bourreaux, sauraient le mieux affronter la dent des lions et des léopards. Au premier rang figuraient deux Romains, Maturus et Sanctus, avec un Grec, venu de Pergame, Attale, que l’on appelait la colonne de pierre angulaire de l’Église lyonnaise ; à côté d’eux, meurtrie et mutilée, mais, toujours indomptable, était la pauvre Blandine.

Maturus et Sanctus, qu’on avait torturés plusieurs fois, furent tourmentés de nouveau dans l’amphithéâtre pour assouvir la cruauté d’une foule insensée. On les battit de verges, on les jeta aux bêtes, qui les déchirèrent ; le peuple voulait une mort cruelle. Sur les cris de l’assemblée, on les retira de l’arène à demi morts, pour les asseoir sur une chaise de fer qu’on fit rougir. Malgré tout on ne put réduire leur constance ; Maturus ne poussa pas un soupir. Sanctus ne prononça d’autres paroles que celles qu’il avait répondues le premier jour au proconsul, et qui l’avaient soutenu au milieu des supplices : « Je suis chrétien. » Furieux de se voir vaincu par l’énergie de ces hommes sans défense, le peuple ordonna d’étrangler les deux martyrs. Le tour de Blandine était venu.

On l’attacha à un poteau, les bras étendus, pour l’exposer ainsi aux animaux féroces. Sur son visage fatigué brillait comme une lueur divine ; elle mourait pleine de foi et d’espérance, car elle mourait pour le Christ et par le même supplice. Pour tous les frères qui la contemplaient, c’était une joie profonde de voir et d’admirer le courage de leur soeur ; tous se rappelaient le divin martyr du Calvaire, et tous, bénissant le Seigneur, faisaient des voeux pour la délivrance et la gloire de Blandine ; mais les bêtes, moins féroces que les hommes, ne voulurent point toucher au corps de la sainte ; l’effort des bestiaires fut impuissant pour les animer. Elles rentrèrent en grondant au fond de la cage. Au grand déplaisir des spectateurs, il fallut détacher Blandine et la remettre en prison ; on la réservait pour une nouvelle fête de meurtre et de sang.

Attale restait le dernier ; c’était le plus odieux, car c’était le plus brave. Suivant toute apparence, c’était un missionnaire venu d’Orient, et, après l’évêque Pontinus, le principal apôtre de l’Église de Lyon. Le peuple demanda à grands cris qu’on fit descendre Attale dans l’arène. Il y parut le front serein, la tête droite, soutenu par sa conscience, prêt au combat, comme un soldat du Christ. On lui fit faire le tour de l’amphithéâtre, pour que la foule pût l’insulter à loisir ; devant lui un soldat portait un tableau où était écrit : « Voici Attale, le chrétien. » Malgré les clameurs du peuple, le proconsul ne put livrer ce jour-là le martyr au supplice ; Attale était un citoyen romain, ce n’était pas un esclave comme Blandine ; il fallait l’ordre de l’empereur pour le mettre à mort. Mais on avait écrit à Rome ; la réponse de Marc Aurèle n’était pas douteuse. L’empereur philosophe écrivait un beau livre rempli de nobles maximes sur la justice et l’humanité ; mais un chrétien n’avait pas de droits, ce n’était pas un homme, c’était l’ennemi du genre humain.

Tandis que Blandine attendait en prison qu’une lettre de César lui permît enfin de mourir, elle n’était pas inactive. C’était, disent ses contemporains, c’était comme une mère qui rassemble ses enfants et leur donne de nouveau la vie. À force de prière et d’argent, les fidèles se faisaient ouvrir les prisons, et tous couraient auprès de Blandine pour la saluer du nom de martyre. Mais son humilité repoussait ce titre honorable. « Ceux-là seuls sont martyrs, disait-elle, que le Christ a appelés auprès de lui ; la mort qu’ils ont courageusement soufferte est le sceau de leur gloire ; nous ne sommes que de pauvres et humbles confesseurs. »

Puis elle prêchait à tous la résignation, le courage, l’union, et, enfin, répandant des larmes, elle suppliait les frères d’adresser leurs prières à Dieu pour qu’elle obtînt la mort, qui devait l’affranchir.

Il ne manquait pas non plus de païens qui venaient pour séduire les prisonniers par de belles promesses ou pour insulter à ce qu’ils nommaient leurs vaines espérances. Blandine leur parlait avec douceur, mais avec une foi profonde et une liberté sans bornes. Les païens, émus, sentaient bien que cette femme ne craignait plus rien des hommes, et attendait tout de Dieu. Ils se demandaient d’où venait cette force qui leur manquait, et comment cette débile créature, seule et sans appui, bravait l’injustice et la violence avec plus de fermeté et d’énergie que n’en avaient jamais montré, en face de l’ennemi, leurs Scipions et leurs Fabius, soutenus par une armée. Il y a une sainte contagion dans le spectacle de la grandeur morale ; parmi ces païens venus par curiosité, peut-être y en eut-il plus d’un qui était entré dans la prison de Blandine en ennemi de la foi et qui en sortit déjà chrétien dans le coeur.

Enfin arriva la lettre de Marc Aurèle ; elle ordonnait la mort. Pour honorer l’empereur et rendre la vengeance plus solennelle, le proconsul attendit un des jours où se tenait l’assemblée de la province. Assis sur son tribunal, entouré de ses licteurs et de ses gardes, au milieu des pompes théâtrales, il se fit amener les chrétiens, et, après de nouvelles menaces et de nouvelles prières, lut à chacun d’eux l’arrêt de mort. Les citoyens romains eurent aussitôt la tête tranchée ; les autres, et Blandine était du nombre, furent renvoyés aux bêtes ; Attale aussi fut épargné le premier jour ; tout citoyen romain qu’il fût on l’avait réservé pour l’amphithéâtre, afin que l’ignominie du supplice fût un châtiment de plus pour ce que le proconsul appelait l’obstination d’un insensé, et ce que nous appelons aujourd’hui la foi d’un chrétien.

Au jour dit, le peuple emplit le vaste amphithéâtre, criant qu’on livrât les chrétiens aux lions. Quand les grilles s’ouvrirent, il se fit un profond silence, et alors parurent Attale, Blandine et un enfant de quinze ans, nommé Ponticus. Comme ses devanciers, Attale souffrit tous les tourments que demanda le caprice ou l’ivresse sanglante de la foule. Lui aussi, après l’avoir battu de verges et livré aux bêtes, on le fit asseoir sur le fauteuil de fer rougi. Au milieu du supplice, l’injure et la calomnie le poursuivaient encore. On lui reprochait de dévorer des enfants ; il se tourna dédaigneusement vers les lâches qui l’outrageaient, et, leur montrant ses membres réduits par le feu : « Voilà, leur dit-il, ce qui s’appelle dévorer des hommes. Pour nous, loin de dévorer des enfants, nous ne faisons de mal à personne. » Et, comme on lui demandait le nom de son Dieu : « Dieu, répondit-il, n’a pas de nom, comme nous autres mortels. » Après cette réponse, il mourut.

On avait réservé pour la fin Ponticus et Blandine, une femme, un enfant. On les avait forcés d’assister à tous les supplices ; on espérait que la vue de tant de souffrances effrayerait et dompterait des âmes aussi sensibles et aussi tendres ; on les suppliait de jurer par les images des dieux, car on sentait ce qu’il y avait d’odieux à écraser ainsi du même coup la faiblesse et l’innocence. Tout fut inutile, Blandine et Ponticus étaient chrétiens. La foule entra alors en fureur et ne voulut épargner ni l’âge ni le sexe. Ponticus fut le premier saisi ; le peuple demanda qu’on épuisât tous les supplices sur cet enfant. Battu de verges, livré aux bêtes, il résista à toutes les épreuves. Au milieu des tourments qui le brisaient, on entendait la voix de Blandine qui encourageait son jeune frère à souffrir des douleurs d’un instant pour conquérir une gloire qui ne finirait pas. Ni menaces ni coups n’arrêtaient la chrétienne ; c’était une mère qui voulait enfanter son fils à la vie éternelle. Ponticus résista aussi longtemps que ses forces le lui permirent, et ce fut en souriant à Blandine qu’il rendit le dernier soupir.

L’enfant mort et dans le sein de Dieu, on vit Blandine marcher aux bêtes de l’amphithéâtre, non pas comme une captive qui va à la mort, mais comme une fiancée qui prend place au festin nuptial. Sur l’ordre du peuple, on la suspendit dans un filet, et on l’exposa ainsi à un taureau indompté. Trois fois l’animal, de sa corne furieuse, jeta en l’air la pauvre Blandine, trois fois il la foula aux pieds, pour assouvir sa rage sur la victime qu’on lui livrait ; on n’entendit ni plaintes ni pleurs, mais seulement quelques mots de prière, une invocation au Christ sauveur. Enfin on la tira du filet à demi morte et on l’égorgea comme un agneau qu’on égorge à l’autel.

Le spectacle était fini ; mais l’ivresse de la foule avait cessé ; le peuple sortit en silence, sans jeter au ciel le nom de César. Chacun se disait que jamais femme n’avait supporté de tels supplices et n’avait montré un courage plus indompté ; le proconsul, qui tremblait devant les serviteurs de César, se demandait quelle était donc cette religion nouvelle qui affranchit la conscience, chasse toute frayeur, donne la liberté au milieu des fers, et met une esclave au-dessus même de l’empereur.
Blandine n’avait plus rien à craindre des hommes ; c’était elle maintenant qui faisait trembler les ministres de César. Cette dépouille sanglante, ce reste de chair et d’os, qui avaient échappé à la dent des bêtes et au fer des bourreaux, voilà des trésors que se disputaient les chrétiens. Pour obtenir ces saintes reliques, un fidèle offrait sa fortune ; si on la refusait, il se glissait dans l’ombre des nuits pour ravir ce qui, pour lui, était plus précieux que l’or. Les magistrats n’ignoraient pas que si ce cadavre leur échappait, on se disputerait chacun des cheveux de Blandine, et que chacun des possesseurs serait un nouvel ami de la vérité, un nouvel ennemi du despotisme impérial. C’est là qu’était le danger pour ces bourreaux qu’effrayait la pâle figure d’une pauvre femme qu’ils avaient égorgée.

Pendant six jours on exposa les restes des martyrs à toutes les injures du temps, à tous les outrages des hommes ; le septième jour, on les brûla, et les cendres furent jetées dans le Rhône. Les païens s’imaginaient ainsi défier Dieu et empêcher la résurrection qu’attendaient les chrétiens ; ils voulaient ravir aux fidèles toute espérance, en même temps leur ôter tout souvenir. Impuissance de la force !

Toutes ces violences ne trahissaient que la crainte. Les siècles ont passé ; le paganisme est tombé ; le nom des bourreaux a disparu sous l’exécration publique. Mais le nom de Blandine est resté. De cette douce et courageuse victime, l’Église a fait une sainte, et tant qu’il y aura des fidèles sur la terre, le cri de Blandine restera la devise de la société chrétienne : « Nous nommes chrétiens, et nous ne faisons rien de mal » ; belles et saintes paroles qu’on ne saurait trop méditer.

C’est ainsi que par sa foi, son amour de la vérité, son dévouement à Dieu, Blandine, la pauvre esclave, a mérité de vivre dans l’histoire. Aussi longtemps qu’il y aura en France des femmes chrétiennes, elles respecteront sa mémoire, elles admireront l’exemple de cette héroïne chrétienne qui, du sein de sa faiblesse et de ses misères, nous crie qu’on peut toujours s’élever en faisant son devoir ; que la véritable grandeur de l’homme est dans son âme, et qu’on ne doit jamais avilir cette âme, que Dieu a faite à son image et qui n’appartient qu’à lui.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

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