Zone euro: accord in extremis entre la France et l'Allemagne :
« Attention , cet accord ne désarme pas les marchés financiers dans leur capacité à spéculer ! »
Parce que c’est important : On va décrypter l'accord européen trouvé pour résoudre la crise grecque :
La Grèce est-elle sortie d’affaire avec cet accord?
Sans cet accord, la Grèce aurait vraiment été sous l’eau. Cet accord lui permet de sortir la tête de l’eau et de respirer un peu, car le poids de la dette va être allégée avec les mesures décidées hier.
En revanche, d’autres mesures restent à prendre. Il faut d'abord que les Grecs réduisent massivement leurs dépenses militaires qui représentent 4% du PIB chaque année – alors qu’en France, pourtant présentée comme puissance militaire, les dépenses représentent 2% du PIB. C’est d’abord le nationalisme de la société grecque, partagée par la droite et la gauche, qui doit changer.
La deuxième priorité, c’est la lutte contre l’évasion fiscale. Selon les estimations du gouvernement grec, il y a 200 milliards de capitaux grecs placés en Suisse. L'Europe a tout intérêt à mettre la pression maximale pour que les Suisses lèvent le secret bancaire sur les capitaux comme ils sont en train de le faire pour les capitaux américains. Cela permettrait de taxer cet argent qui ne l’a pas été. Le manque à gagner est considérable: 200 milliards d’euros, c’est deux tiers de la dette publique. Si on taxe à 30% ces 200 milliards, cela représente 70 milliards. Soit presque la moitié du plan d’aide décidé hier.
La question que tout le monde se pose: QUI VA PAYER?
La majeure partie du plan est assumée par le secteur public, mais le secteur privé (les banques) sont aussi mises à contribution.
Pour la partie publique, ce sera un nouveau prêt du fameux «fonds européen de stabilité financière» (FESF) et du fonds monétaire international (FMI). Comment le FESF va-t-il trouver l'argent? En allant sur les marchés, auprès des fonds de pension, des banques, des fonds d’investissement, des gestionnaires d’assurance vie, qui aujourd’hui refusent de prêter directement à la Grèce mais qui acceptent de prêter au fameux fonds (FESF) qui est garanti. Si la Grèce rembourse, le coût pour le contribuable européen sera égal à zéro!
Sur les 160 milliards annoncés hier, 50 milliards vont reposer sur les banques. Elles devront soit diminuer les intérêts imposés à la Grèce (ce qui représente un manque à gagner par rapport aux taux actuels), soit accepter des pertes en capital (par exemple que les obligations perdent la moitié de leur valeur).
Il n’y aucune garantie que les banques privées participeront à ce renflouement. Quels arguments ou lois existent pour inciter voire forcer les sociétés privées de participer à l’effort en Grèce?
Les banques ont pris aujourd’hui l'engagement moral de participer à l’allègement de la dette grecque. Mais comme c’était une condition politique de l’Allemagne, elle va être très attentive à ce que les banques le fassent vraiment. Donc une banque qui s’amuserait à ne pas respecter cet engagement moral prend un vrai risque de perte d’image et de crédibilité. Ce n’est pas du tout dans leur intérêt de refuser.
Dans quelle mesure, si la taxation sur les transactions financières n’est pas appliquée, peut-on espérer un comportement «raisonnable» des marchés et des intermédiaires?
Si on parle bien de la taxe bancaire envisagée hier mais finalement pas mise en place, elle a fonctionné comme un leurre qui a poussé les banques à accepter l’exigence allemande. C’est pas plus mal qu’on n’ait pas utilisé l’outil fiscal sur ce sujet, c’est toujours une carte qu’on a en main pour imposer une fiscalité plus dure aux banques et mettre en place une taxe sur les transactions financières.
Pourquoi sauve-t-on encore les banques, qui spéculent d’un côté, en faisant des bénéfices énormes en empruntant à la BCE à 1,5% et en prêtant aux pays à beaucoup plus, de l’autre en exigeant moult garanties?
Sur la spéculation, c’est un des angles morts de l’accord d’hier et l’une de ces principales faiblesses: il ne désarme pas les marchés financiers dans leur capacité à spéculer contre les dettes des Etats. C’est ce qui s’est passé sur l’Espagne et l’Italie ces derniers jours.
Sans trop entrer dans les détails techniques, il faut savoir qu'il est possible au travers d’un produit financier qui s’appelle le CDS (credit défault swaps) de faire augmenter artificiellement le taux d’intéret de la dette d’un Etat. Ce type de produit devrait être interdit. Un texte européen est en cours de négociations, dont je suis le négociateur pour le parlement européen. J’ai une majorité très large derrière moi pour interdire ces produits. Mais il n’y a pas de majorité au sein des Etats. L’Allemagne est favorable à cette interdiction mais pas la France…
On laisse les marchés jeter de l’huile sur le feu et ensuite on est obligé de débloquer des sommes importantes. On devrait prendre le problème à la racine: la priorité devrait être d’empêcher les marchés de spéculer et donc de pousser à la hausse de manière artificielle les taux d’intérêt.
Il y a un conflit d’intérêt majeur au sein des banques. On a vu par exemple Natixis acheter récemment de la dette grecque sur le marché secondaire (elle ne vaut pas grand chose mais rapporte beaucoup d’argent puisque les taux d'intérêt sont élevés). Natixis prend le risque que la Grèce ne rembourse pas.
Le problème c'est quand on voit dans le même temps, François Pérol, patron de Natixis et de la fédération bancaire française, faire du lobbying contre le défaut de paiement! Il joue totalement en fonction de son intérêt. Il est totalement dans la défense des positions prises par Natixis. Ce genre de chose n’a pas été assez relevé dans le débat, je trouve.
La presse dit beaucoup que c'est l'Allemagne qui empêche d'avancer vers une vraie solution, mais n'est-ce pas l'obstination de Sarkozy à ne pas toucher aux banques qui pose problème?
La France était opposée à une participation financière des banques alors que l’Allemagne était favorable. A partir du moment où les banques prêtent à un taux d’intérêt élevé, dans une logique purement capitaliste, il est normal qu’elles assument le risque. C’est normal qu’une partie du fardeau repose sur le système financier. Donc oui, la position de la France était très favorable à l’intérêt des banques.
J’ai vraiment été surpris lors de la conférence de presse hier, de voir la très faible maîtrise des sujets de Nicolas Sarkozy. Ce n’est pas très rassurant sur sa capacité de maîtrise. On se demande qui, au final, prend les décisions.
Est-ce que le nouveau tournant dans l’aide à la Grèce illustre bien, pour vous, l’idée d’une solidarité européenne qu’on a longtemps attendue depuis la crise?
Pour moi, c’est le minimum vital. Il y a un certain nombre de tabous qui continuent à tomber. Rappelons qu'au départ, les concepteurs de la zone euro avaient posé le principe d'aucune solidarité sur la gestion de la dette publique. Aujourd’hui, on va totalement au-delà de ce qui était prévu. Il faut saluer les avancées faites.
Même s'il reste encore du chemin à parcourir. Deux avancées me semblent importantes à réaliser prochainement.
La première, c’est la coopération fiscale. Aujourd’hui, on demande aux Etats de réduire leur déficit mais comme ils n’acceptent pas la coopération fiscale européenne, l’essentiel de l’ajustement budgétaire se fait sur les dépenses et donc au détriment des dépenses sociales et investissements d’avenir. Donc, la plus-value de l’Europe devrait être de permettre aux Etats de taxer les richesses mobiles (par exemple, les bénéfices d'une entreprise étrangère installée en Irlande où elle est faiblement taxée). Mais pour cela, il faut une coopération fiscale. C’est le chantier numéro un pour moi, aujourd’hui. Ça permettrait de réduire les déficits en le faisant de manière juste sur un plan social et beaucoup plus efficace sur le plan économique — pour lutter par exemple contre les délocalisations fiscales.
Deuxième point: la création d’obligations européennes qui permettent de diminuer la capacité des marchés financiers à spéculer et qui donc améliorera la position des Etats dans le rapport de force qui les oppose aux marchés.
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