Eric WOERTH, ministre du travail à l’Assemblée en octobre 2010,défendant le projet
gouvernemental de réforme des retraites :
« Après le vote de la loi, c’est la loi (…) il faut la respecter »
E.Woerth, le 24 octobre 2010
Vous soulevez un problème très intéressant monsieur le Ministre :
DOIT-ON TOUJOURS OBEIR AUX LOIS ?
Pour commencer il faut envisager la question posée dans son sens le plus large possible. En effet le mot LOI s’utilise dans des contextes très divers, puisqu’on parle aussi bien de lois scientifiques que de lois juridiques ou morales.
Qu’est-ce qu’une loi ?
Une loi est une règle ou une relation qui ordonne un ensemble de phénomènes (naturels ou humains). Dans le cas des phénomènes de la nature la loi exprime une nécessité à laquelle on ne peut déroger, tandis que dans le cas des phénomènes humains la loi exprime une obligation à laquelle l’individu peut toujours tenter de se soustraire. Ainsi la question « Doit-on toujours obéir aux lois ? » ne se pose que dans le domaine des relations humaines.
Remarque : Cette première définition nous permet de réduire notre champ d ‘investigation dans la mesure où dans l’ordre des phénomènes naturels la question de savoir si nous devons ou pas obéir à la loi ne se pose pas. Tout simplement parce que nous ne le pouvons pas. Si je choisis de ne plus m’alimenter inéluctablement je mettrai ma vie en péril (quelle que soit la motivation qui sous tend ma décision). C’est comme ça dans l’ordre de la nature et ce n’est pas autrement (définition de la nécessité).
Dans le domaine des affaires humaines, que ce soit celui du droit et de la politique, ou celui de la morale, la loi est une règle obligatoire établie par une autorité souveraine et régissant les relations entre les hommes dans une société.
Comme le remarque Aristote, au début de son ouvrage La politique, il n’existe pas de sociétés humaines sans loi. Pourquoi ? (remarque : ici on part d’un constat – on observe que…)
C’est également la question que se pose Thomas Hobbes au XVII° siècle lorsqu’il imagine la fiction de l’état de nature, monde irréel dans lequel les hommes vivraient sans aucune autre loi que celle dictée par la satisfaction de leurs intérêts. Le but de cette fiction est de nous amener à réfléchir sur le sens de la loi. Qu’adviendrait-il si les hommes vivaient dans un monde sans loi ? Pour répondre à cette question Hobbes fait une hypothèse sur la nature de l’homme : l’homme est par nature égoïste et méchant. Il est « un loup pour l’homme ». A partir de cette hypothèse les relations entre les hommes ne peuvent être déterminées que par le conflit, chacun s’estimant toujours dans son droit de tuer, dépouiller, asservir. Pour Hobbes, l’état de nature est donc déterminé par l’insécurité, c’est un état permanent de guerre de tous contre tous.
Mais dans un tel état d’insécurité ou de guerre, la vie humaine, dans ce qu’elle a de plus simple, est impossible. Comme est également impossible le développement de toute activité politique, économique, culturelle, etc., qui fonde une existence proprement humaine. Les hommes qui sont dotés d’une raison et donc de la capacité de calculer ce qui est dans leur intérêt, ne peuvent donc que choisir, face au chaos, de se soumettre à une autorité souveraine dont la fonction sera d’ordonner par la loi le corps social (on retrouve la définition la plus générale du mot loi) afin de garantir non seulement la sécurité de chacun, mais surtout la sécurité de tous (du corps social) face au caractère antisocial des désirs individuels de chacun.
Hobbes démontre ici que les lois sont nécessaires. En assurant la pérennité de toute société humaine, elles garantissent les conditions indispensable à l’établissement de la vie. Par conséquent si les lois sont nécessaires nous devons toujours obéir à la loi. Toute transgression de la loi constitue une menace pour l’ordre social et pour la vie elle-même.
Pour Hobbes la justice réside dans simple respect de la loi, dans le respect de la légalité. Lorsque les citoyens acceptent de se soumettre à la loi ils renoncent non seulement à leur liberté de mouvement (ils ne peuvent plus faire ce qu’ils veulent) mais ils renoncent aussi à leur autonomie c’est-à-dire à leur liberté de décider pour eux-mêmes (liberté de la volonté). Ce qui fonde l’autorité de loi c’est la nécessité de protéger la vie. Chez Hobbes, l’autorité de la loi trouve son fondement dans un ordre supérieur qui est l’ordre de la nature puisqu’elle inscrit les actions humaines dans une logique de la survie. Ce qui détermine le choix du souverain c’est la puissance ou la force de ce dernier. Le pouvoir du monarque est absolu. Sa seule limite est la loi de la nature : il n’a pas le droit de porter atteinte à la vie de ses sujets. Ce qui laissera Rousseau très sceptique.
Fonder l’autorité de loi politique et juridique sur la logique du vivant ( de la survie) n’est pas satisfaisant pour Aristote. En effet il existe aussi des sociétés animales organisées selon des lois qui ont aussi pour finalité la survie du groupe. Qu’est-ce qui distingue alors les sociétés humaines des sociétés animales ? On peut difficilement affirmer, sans que cela soit péjoratif, qu’une société humaine est semblable à une ruche ou une fourmilière ? C’est la remarque que fait Aristote à Platon. Pour Platon, les hommes vivent en société car seuls ils ne peuvent satisfaire l’ensemble des besoins nécessaires à leur vie. Pour survivre ils doivent donc se répartir les tâches au sein d’une organisation du travail. Pour Aristote, la division du travail ne suffit pas à caractériser une société humaine. Si les hommes vivent ensemble ce n’est pas simplement pour assurer leur survie (vivre) mais pour réaliser le bien ou la justice (le « bien vivre »). c’est pour cela qu’ils se doteront de lois qui n’auront oas simplement pour but d’assurer leur sécurité, mais surtout de construire un ordre social juste dans lequel les hommes pourront vivre en adéquation avec leur nature.
Toute société est sous-tendue par un projet social collectif qui détermine ses valeurs (le bien). Ainsi la loi juste ce ne peut être simplement l’ordre donné par le souverain, c’est la loi qui réalise le bien (individuel, politique, social). [Pour commenter une citation d'Aristote, utilisée par Thanina « le juste est ce qui est conforme à la loi et ce qui respecte l'égalité. L'injuste est contraire à la loi et est ce qui manque à l'égalité" ] Par exemple, la loi juste est pour Aristote d’abord la loi qui réalise l’égalité (le bien politique), principe fondateur de la démocratie athénienne. (remarque: pour les Grecs le mot liberté n’a pas le sens qu’on lui donne aujourd’hui. Etre libre c’est simplement avoir des loisirs, ne pas travailler de ses mains, ce qui est une condition nécessaire pour mener une activité politique. La liberté individuelle au sens où nous l’entendons aujourd’hui n’est pas une fondation du politique. l’homme est d’abord un nous avant d’être un je). Pour Rousseau, la loi juste est la loi exprime la liberté au lieu de l’opprimer.
Se dessine maintenant la possibilité que l’ordre donné, que la loi, soit donc contraire à ce bien, soit donc « injuste ». Que faire dans ce cas là ?
DESOBEIR ?
DESOBEIR !
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