" Mes amis , réveillons-nous . Assez d'injustices ! " L'Abbé Pierre

lundi 22 décembre 2014

Lettre d'Edwy Plenel à Monsieur Le President Hollande

 
 
 
Palestine : Monsieur le Président, vous égarez la

France


23 juillet 2014 | Par Edwy Plenel - Mediapart.fr

De lalignement préalable sur la droite extrême israélienne à linterdiction de manifestations de

solidarité avec le peuple palestinien, sans compter lassimilation de cette solidarité à de

lantisémitisme maquillé en antisionisme, François Hollande sest engagé dans une impasse.

Politiquement, il ny gagnera rien, sauf le déshonneur. Mais, à coup sûr, il y perd la France. Parti



pris en forme de lettre ouverte.


Monsieur le Président, cher François Hollande, je naurais jamais pensé que vous puissiez rester, un jour,

dans lhistoire du socialisme français, comme un nouveau Guy Mollet. Et, à vrai dire, je narrive pas à my

résoudre tant je vous croyais averti de ce danger dune rechute socialiste dans laveuglement national et

lalignement international, cette prétention de civilisations qui se croient supérieures au point de sen servir

dalibi pour justifier les injustices quelles commettent.

Vous connaissez bien ce spectre molletiste qui hante toujours votre famille politique. Celui dun militant

dévoué à son parti, la SFIO, dun dirigeant aux convictions démocratiques et sociales indéniables, qui finit

par perdre politiquement son crédit et moralement son âme faute davoir compris le nouveau monde qui

naissait sous ses yeux. Cétait, dans les années 1950 du siècle passé, celui de lémergence du tiersmonde,



du sursaut de peuples asservis secouant les jougs colonisateurs et impériaux, bref le temps de

leurs libérations et des indépendances nationales.

Guy Mollet, et la majorité de gauche qui le soutenait, lui opposèrent, vous le savez, un déni de réalité. Ils

saccrochèrent à un monde dhier, déjà perdu, ajoutant du malheur par leur entêtement, aggravant

linjustice par leur aveuglement. Cest ainsi quils prétendirent que lAlgérie devait à tout prix rester la

France, jusquà engager le contingent dans une sale guerre, jusquà autoriser lusage de la torture, jusquà

violenter les libertés et museler les oppositions. Et cest avec la même mentalité coloniale quils engagèrent



notre pays dans une désastreuse aventure guerrière à Suez contre l'Égypte souveraine, aux côtés du

jeune État dIsraël.

Mollet nétait ni un imbécile ni un incompétent. Il était simplement aveugle au monde et aux autres. Des

autres qui, déjà, prenaient figure dArabes et de musulmans dans la diversité dorigines, la pluralité de

cultures et la plasticité de croyance que ces mots recouvrent. Lesquels sinvitaient de nouveau au banquet

de lHistoire, sassumant comme tels, revendiquant leurs fiertés, désirant leurs libertés. Et qui, selon le

même réflexe de dignité et de fraternité, ne peuvent admettre quaujourdhui encore, linjustice européenne

faite aux Juifs, ce crime contre lhumanité auquel ils neurent aucune part, se redouble dune injustice



durable faite à leurs frères palestiniens, par le déni de leur droit à vivre librement dans un État normal, aux

frontières sûres et reconnues.

Vous connaissez si bien la suite, désastreuse pour votre famille politique et, au-delà delle, pour toute la

gauche de gouvernement, que vous laviez diagnostiquée vous-même, en 2006, dans Devoirs de vérité

(Stock). « Une faute, disiez-vous, qui a été chèrement payée : vingt-cinq ans dopposition, ce nest pas

rien ! » Sans compter, auriez-vous pu ajouter, la renaissance à cette occasion de lextrême droite

française éclipsée depuis la chute du nazisme et lavènement dinstitutions dexception, celles dun pouvoir

personnel, celui du césarisme présidentiel. Vingt-cinq ans de « pénitence », insistiez-vous, parce que la

SFIO, lancêtre de votre Parti socialiste daujourdhui, « a perdu son âme dans la guerre dAlgérie ».

Vous en étiez si conscient que vous ajoutiez : « Nous avons encore des excuses à présenter au peuple




algérien. Et nous devons faire en sorte que ce qui a été ne se reproduise plus. » « Nous ne sommes


jamais sûrs davoir raison, de prendre la bonne direction, de choisir la juste orientation, écriviez-vous

encore. Mais nous devons, à chaque moment majeur, nous poser ces questions simples : agissons-nous




conformément à nos valeurs ? Sommes-nous sûrs de ne pas altérer nos principes ? Restons-nous fidèles

à ce que nous sommes ? Ces questions doivent être posées à tout moment, au risque sinon doublier la
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leçon. »


Eh bien, ces questions, je viens vous les poser parce que, hélas, vous êtes en train doublier la leçon et, à



votre tour, de devenir aveugle au monde et aux autres. Je vous les pose au vu des fautes stupéfiantes

que vous avez accumulées face à cet énième épisode guerrier provoqué par lentêtement du pouvoir

israélien à ne pas reconnaître le fait palestinien. Jen dénombre au moins sept, et ce nest évidemment

pas un jeu, fût-il des sept erreurs, tant elles entraînent la France dans la spirale dune guerre des mondes,



des civilisations et des identités, une guerre sans issue, sinon celle de la mort et de la haine, de la

désolation et de linjustice, de linhumanité en somme, ce sombre chemin où lhumanité en vient à se



détruire elle-même.

Les voici donc ces sept fautes où, en même temps quà lextérieur, la guerre ruine la diplomatie, la



politique intérieure en vient à se réduire à la police.

Une faute politique doublée dune faute intellectuelle
1. Vous avez dabord commis une faute politique sidérante. Rompant avec la position



traditionnellement équilibrée de la France face au conflit israélo-palestinien, vous avez aligné notre pays

sur la ligne doffensive à outrance et de refus des compromis de la droite israélienne, laquelle gouverne



avec une extrême droite explicitement raciste, sans morale ni principe, sinon la stigmatisation des

Palestiniens et la haine des Arabes.

Votre position, celle de votre premier communiqué du 9 juillet, invoque les attaques du Hamas pour

justifier une riposte israélienne disproportionnée dont la population civile de Gaza allait, une fois de plus,

faire les frais. Purement réactive et en grande part improvisée (lire ici larticle de Lenaïg Bredoux), elle fait

fi de toute complexité, notamment celle du duo infernal que jouent Likoud et Hamas, lun et lautre se

légitimant dans la ruine des efforts de paix (lire là larticle de François Bonnet).

Surtout, elle est inquiétante pour lavenir, face à une situation internationale de plus en plus incertaine et



confuse. À la lettre, ce feu vert donné à un État dont la force militaire est sans commune mesure avec

celle de son adversaire revient à légitimer, rétroactivement, la sur-réaction américaine après les attentats

du 11-Septembre, son Patriot Act liberticide et sa guerre dinvasion contre lIrak. Bref, votre position tourne



le dos à ce que la France officielle, sous la présidence de Jacques Chirac, avait su construire et affirmer,

dans lautonomie de sa diplomatie, face à laveuglement nord-américain.



Depuis, vous avez tenté de modérer cet alignement néoconservateur par des communiqués invitant à

lapaisement, à la retenue de la force israélienne et au soulagement des souffrances palestiniennes. Ce

faisant, vous ajoutez lhypocrisie à lincohérence. Car cest une fausse compassion que celle fondée sur



une fausse symétrie entre les belligérants. Israël et Palestine ne sont pas ici à égalité. Non seulement en

rapport de force militaire mais selon le droit international.

En violation de résolutions des Nations unies, Israël maintient depuis 1967 une situation doccupation, de



domination et de colonisation de territoires conquis lors de la guerre des Six Jours, et jamais rendus à la

souveraineté pleine et entière dun État palestinien en devenir. Cest cette situation dinjustice prolongée

qui provoque en retour des refus, résistances et révoltes, et ceci dautant plus que le pouvoir palestinien

issu du Fatah en Cisjordanie na pas réussi à faire plier lintransigeance israélienne, laquelle, du coup,

légitime les actions guerrières de son rival, le Hamas, depuis quil sest imposé à Gaza.

Historiquement, la différence entre progressistes et conservateurs, cest que les premiers cherchent à

réduire linjustice qui est à lorigine dun désordre tandis que les seconds sont résolus à linjustice pour



faire cesser le désordre. Hélas, Monsieur le Président, vous avez spontanément choisi le second camp,

égarant ainsi votre propre famille politique sur le terrain de ses adversaires.

2. Vous avez ensuite commis une faute intellectuelle en confondant sciemment antisémitisme et


antisionisme. Ce serait saveugler de nier quen France, la cause palestinienne a ses égarés, antisémites



en effet, tout comme la cause israélienne y a ses extrémistes, professant un racisme anti-arabe ou

antimusulman. Mais assimiler lensemble des manifestations de solidarité avec la Palestine à une

résurgence de lantisémitisme, cest se faire le relais docile de la propagande dÉtat israélienne.



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Mouvement nationaliste juif, le sionisme a atteint son but en 1948, avec laccord des Nations unies, URSS



comprise, sous le choc du génocide nazi dont les Juifs européens furent les victimes. Accepter cette

légitimité historique de lÉtat dIsraël, comme a fini par le faire sous légide de Yasser Arafat le mouvement

national palestinien, nentraîne pas que la politique de cet État soit hors de la critique et de la contestation.

Être antisioniste, en ce sens, cest refuser la guerre sans fin quimplique laffirmation au Proche-Orient dun



État exclusivement juif, non seulement fermé à toute autre composante mais de plus construit sur

lexpulsion des Palestiniens de leur terre.

Confondre antisionisme et antisémitisme, cest installer un interdit politique au service dune oppression.

Cest instrumentaliser le génocide dont lEurope fut coupable envers les Juifs au service de discriminations

envers les Palestiniens dont, dès lors, nous devenons complices. Cest, de plus, enfermer les Juifs de

France dans un soutien obligé à la politique dun État étranger, quels que soient ses actes, selon la même

logique suiviste et binaire qui obligeait les communistes de France à soutenir lUnion soviétique, leur autre

patrie, quels que soient ses crimes. Alors quévidemment, on peut être juif et antisioniste, juif et résolument

diasporique plutôt quaveuglément nationaliste, tout comme il y a des citoyens israéliens, hélas trop



minoritaires, opposés à la colonisation et solidaires des Palestiniens.

Brandir cet argument comme la fait votre premier ministre aux cérémonies commémoratives de la rafle du

VéldHiv, symbole de la collaboration de lÉtat français au génocide commis par les nazis, est aussi

indigne que ridicule. Protester contre les violations répétées du droit international par lÉtat dIsraël, ce

serait donc préparer la voie au crime contre lhumanité ! Exiger que justice soit enfin rendue au peuple

palestinien, pour quil puisse vivre, habiter, travailler, circuler, etc., normalement, en paix et en sécurité, ce



serait en appeler de nouveau au massacre, ici même !

Une atteinte sécuritaire aux libertés fondamentales


Que ce propos soit officiellement tenu, alors même que les seuls massacres que nous avons sous les

yeux sont ceux qui frappent les civils de Gaza, montre combien cette équivalence entre antisémitisme et

antisionisme est brandie pour fabriquer de lindifférence. Pour nous rendre aveugles et

sourds. « Lindifférence, la pire des attitudes », disait Stéphane Hessel dans Indignez-vous !, ce livre qui lui

a valu tant de mépris des indifférents de tous bords, notamment parce quil y affirmait quaujourdhui,

sa « principale indignation concerne la Palestine, la bande de Gaza, la Cisjordanie ».

Avec Edgar Morin, autre victime de cabales calomnieuses pour sa juste critique de laveuglement



israélien, Stéphane Hessel incarne cette gauche qui ne cède rien de ses principes et de ses valeurs, qui

nhésite pas à penser contre elle-même et contre les siens et qui, surtout, refuse dêtre prise au piège de

lassignation obligée à une origine ou à une appartenance. Cette gauche libre, Monsieur le Président, vous

laviez conviée à marcher à vos côtés, à vous soutenir et à dialoguer avec vous, pour réussir votre élection

de 2012. Maintenant, hélas, vous lui tournez le dos, désertant le chemin despérance tracé par Hessel et



Morin et, de ce fait, égarant ceux qui vous ont fait confiance.

3. Vous avez aussi commis une faute démocratique en portant atteinte à une liberté fondamentale,


celle de manifester. En démocratie, et ce fut une longue lutte pour lobtenir, sexprimer par sa plume, se



réunir dans une salle ou défiler dans les rues pour défendre ses opinions est un droit fondamental. Un

droit qui ne suppose pas dautorisation. Un droit qui nest pas conditionné au bon vouloir de lÉtat et de sa

police. Un droit dont les abus éventuels sont sanctionnés a posteriori, en aucun cas présumés a priori. Un



droit qui, évidemment, vaut pour les opinions, partis et colères qui nous déplaisent ou nous dérangent.

Lhistoire des manifestations de rue est encombrée de désordres et de débordements, de violences où se



disent des souffrances délaissées et des colères humiliées, des ressentiments parfois amers, dans la

contestation dun monopole étatique de la seule violence légitime. Il y en eut douvrières, de paysannes,

détudiantes… Il y en eut, ces temps derniers, dans la foulée des manifestations bretonnes des Bonnets

rouges, écologistes contre laéroport de Notre-Dame-des-Landes, conservatrices contre le mariage pour



tous. Il y eut même une manifestation parisienne aux banderoles et slogans racistes, homophobes,

discriminatoires, celle du collectif « Jour de colère » en janvier dernier (lire ici notre reportage).

Sil existe une spécialité policière dite du maintien de lordre, cest pour nous apprendre à vivre avec cette

tension sociale qui, parfois, déborde et où sexpriment soudain, dans la confusion et la violence, ceux qui



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se sentent dordinaire sans voix, oubliés, méprisés ou ignorés – et qui ne sont pas forcément aimables ou

honorables. Or voici quavec votre premier ministre, vous avez décidé, en visant explicitement la jeunesse

des quartiers populaires, quun seul sujet justifiait linterdiction de manifester : la solidarité avec la

Palestine, misérablement réduite par la propagande gouvernementale à une libération de lantisémitisme.

Cette décision sans précédent, sinon latteinte au droit de réunion portée fin 2013 par Manuel Valls, alors

ministre de lintérieur, toujours au seul prétexte de lantisémitisme (lire ici notre position à lépoque),

engage votre pouvoir sur le chemin dun État dexception, où la sécurité se dresse contre la liberté.

Actuellement en discussion au Parlement, lénième loi antiterroriste va dans la même direction (lire là

larticle de Louise Fessard), en brandissant toujours le même épouvantail pour réduire nos droits

fondamentaux : celui dune menace terroriste dont lévidente réalité est subrepticement étendue, de façon



indistincte, aux idées exprimées et aux engagements choisis par nos compatriotes musulmans, dans leur

diversité et leur pluralité, dorigine, de culture ou de religion.

Accepter la guerre des civilisations à lextérieur, cest finir par importer la guerre à lintérieur. Cest en venir

à criminaliser des opinions minoritaires, dissidentes ou dérangeantes. Et cest ce choix irresponsable qua

demblée fait celui que vous avez, depuis, choisi comme premier ministre, en désignant à la vindicte

publique un « ennemi intérieur », une cinquième colonne en quelque sorte peu ou prou identifiée à lislam.

Et voici que hélas, à votre tour, loin dapaiser la tension, vous vous égarez en cédant à cette facilité

sécuritaire, de courte vue et de peu deffet.




4. Vous avez également commis une faute républicaine en donnant une dimension religieuse au


débat français sur le conflit israélo-palestinien. Cest ainsi quaprès lavoir réduit à des « querelles trop

loin dici pour être importées », vous avez symboliquement limité votre geste dapaisement à une



rencontre avec les représentants des cultes. Après avoir réduit la diplomatie à la guerre et la politique à la

police, cétait au tour de la confrontation des idées dêtre réduite, par vous-même, à un conflit des

religions. Au risque de lexacerber.



Là où des questions de principe sont en jeu, de justice et de droit, vous faites semblant de ne voir

quexpression dappartenances et de croyances. La vérité, cest que vous prolongez lerreur tragique faite



par la gauche de gouvernement depuis que les classes populaires issues de notre passé colonial font

valoir leurs droits à légalité. Il y a trente ans, la « Marche pour légalité et contre le racisme » fut rabattue

en « Marche des Beurs », réduite à lorigine supposée des marcheurs, tout comme les grèves des ouvriers

de lautomobile furent qualifiées dislamistes parce quils demandaient, entre autres revendications

sociales, le simple droit dassumer leur religion en faisant leurs prières.

Cette façon dessentialiser lautre, en lespèce le musulman, en le réduisant à une identité religieuse

indistincte désignée comme potentiellement étrangère, voire menaçante, revient à refuser de ladmettre

comme tel. Comme un citoyen à part entière, vraiment à égalité cest-à-dire à la fois semblable et différent.

Ayant les mêmes droits et, parmi ceux-ci, celui de faire valoir sa différence. De demander quon ladmette

et quon la respecte. Dobtenir en somme ce que, bien tardivement, sous le poids du crime dont les leurs

furent victimes, nos compatriotes juifs ont obtenu : être enfin acceptés comme français et juifs. Lun et

lautre. Lun avec lautre. Lun pas sans lautre.




Un antiracisme oublieux et infidèle


Si vous pensez spontanément religion quand sexpriment ici même des insatisfactions et des colères en

solidarité avec le monde arabe, univers où dominent la culture et la foi musulmanes, cest paradoxalement

parce que vous ne vous êtes pas résolus à cette évidence dune France multiculturelle. À cette banalité

dune France plurielle, vivant diversement ses appartenances et ses héritages, quà linverse, votre

crispation, où se mêlent la peur et lignorance, enferme dans le communautarisme religieux. Pourtant, les



musulmans de France font de la politique comme vous et moi, en pensant par eux-mêmes, en inventant

par leur présence au monde, à ses injustices et à ses urgences, un chemin de citoyenneté qui est

précisément ce que lon nomme laïcisation.

Cest ainsi, Monsieur le Président, quau lieu délever le débat, vous en avez, hélas, attisé les passions.



Car cette réduction des musulmans de France à un islam lui-même réduit, par le prisme sécuritaire, au

terrorisme et à lintégrisme est un cadeau fait aux radicalisations religieuses, dans un jeu de miroirs où



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lessentialisation xénophobe finit par justifier lessentialisation identitaire. Une occasion offerte aux égarés



en tous genres.

5. Vous avez surtout commis une faute historique en isolant la lutte contre lantisémitisme des
autres vigilances antiracistes. Comme sil fallait la mettre à part, la sacraliser et la différencier. Comme

sil y avait une hiérarchie dans le crime contre lhumanité, le crime européen de génocide lemportant sur

dautres crimes européens, esclavagistes ou coloniaux. Comme si le souvenir de ce seul crime

monstrueux devait amoindrir lindignation, voire simplement la vigilance, vis-à-vis dautres crimes, de

guerre ceux-là, commis aujourdhui même. Et ceci au nom de lorigine de ceux qui les commettent,

brandie à la façon dune excuse absolutoire alors même, vous le savez bien, que lorigine, la naissance ou

lappartenance, quelles quelles soient, ne protègent de rien, et certainement pas des folies humaines.

Ce faisant, votre premier ministre et vous-même navez pas seulement encouragé une détestable

concurrence des victimes, au lieu des causes communes quil faudrait initier et promouvoir. Vous avez

aussi témoigné dun antiracisme fort oublieux et très infidèle. Car il ne suffit pas de se souvenir du crime

commis contre les juifs. Encore faut-il avoir appris et savoir transmettre la leçon léguée par lengrenage



qui y a conduit : cette lente accoutumance à la désignation de boucs émissaires, essentialisés, caricaturés

et calomniés dans un brouet idéologique dignorance et de défiance qui fit le lit des persécutions.

Or comment ne pas voir quaujourdhui, dans lordinaire de notre société, ce sont dabord nos compatriotes

dorigine, de culture ou de croyance musulmane qui occupent cette place peu enviable ? Et comment ne

pas comprendre quà trop rester indifférents ou insensibles à leur sort, ce lot quotidien de petites



discriminations et de grandes détestations, nous habituons notre société tout entière à des exclusions en

chaîne, tant le racisme fonctionne à la manière dune poupée gigogne, des Arabes aux Roms, des Juifs

aux Noirs, et ainsi de suite jusquaux homosexuels et autres prétendus déviants ?

Ne sattarder quà la résurgence de lantisémitisme, cest dresser une barrière immensément fragile face

au racisme renaissant. Le Front national deviendrait-il soudain fréquentable parce quil aurait, selon les

mots de son vice-président, fait « sauter le verrou idéologique de lantisémitisme » afin de « libérer le

reste » ? Lennemi de lextrême droite, confiait à Mediapart la chercheuse qui a recueilli cette confidence

de Louis Aliot, « nest plus le Juif mais le Français musulman » (lire ici notre entretien avec Valérie



Igounet).

De fait, la Commission nationale consultative des droits de lHomme (CNCDH), dont vous ne pouvez



ignorer les minutieux et rigoureux travaux, constate, de rapport en rapport annuels, une montée constante

de lintolérance antimusulmane et de la polarisation contre lislam (lire nos articles ici et là). Dans celui de

2013, on pouvait lire ceci, sous la plume des sociologues et politologues quelle avait sollicités : « Si on


compare notre époque à celle de lavant-guerre, on pourrait dire quaujourdhui le musulman, suivi de près

par le Maghrébin, a remplacé le juif dans les représentations et la construction dun bouc émissaire. »
Lantiracisme conséquent est celui qui affronte cette réalité tout en restant vigilant sur lantisémitisme. Ce

nest certainement pas celui qui, à linverse, pour lignorer ou la relativiser, brandit à la manière dun

étendard la seule lutte contre lantisémitisme. Cette faute, hélas, Monsieur le Président, est impardonnable

car non seulement elle distille le venin dune hiérarchie parmi les victimes du racisme, mais de plus elle

conforte les moins considérées dentre elles dans un sentiment dabandon qui nourrit leur révolte, sinon



leur désespoir. Qui, elles aussi, les égare.

6. Vous avez par-dessus tout commis une faute sociale en transformant la jeunesse des quartiers


populaires en classe dangereuse. Votre premier ministre na pas hésité à faire cet amalgame grossier

lors de son discours du VéldHiv, désignant à la réprobation nationale ces « quartiers populaires » où se

répand lantisémitisme « auprès dune jeunesse souvent sans repères, sans conscience de lHistoire et qui

cache sa “haine du Juif ” derrière un antisionisme de façade et derrière la haine de lÉtat dIsraël ».

Mais qui la abandonnée, cette jeunesse, à ces démons ? Qui sinon ceux qui lont délaissée ou ignorée,



stigmatisée quand elle revendique en public sa religion musulmane, humiliée quand elle voit se poursuivre

des contrôles policiers au faciès, discriminée quand elle ne peut progresser professionnellement et

socialement en raison de son apparence, de son origine ou de sa croyance ? Qui sinon ceux-là même qui,

aujourdhui, nous gouvernent, vous, Monsieur le Président et, surtout, votre premier ministre qui réinvente



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cet épouvantail habituel des conservatismes quest léquivalence entre classes populaires et classes



dangereuses ?

Une jeunesse des quartiers populaires stigmatisée


Cette jeunesse na-t-elle pas, elle aussi, des idéaux, des principes et des valeurs ? Nest-elle pas, autant



que vous et moi, concernée par le monde, ses drames et ses injustices ? Par exemple, comment pouvezvous

ne pas prendre en compte cette part didéal, fût-il ensuite dévoyé, qui pousse un jeune de nos villes



à partir combattre en Syrie contre un régime dictatorial et criminel que vous-même, François Hollande,

avez imprudemment appelé à « punir » il y a tout juste un an ? Est-ce si compliqué de savoir distinguer ce

qui est de lordre de lidéalisme juvénile et ce qui relève de la menace terroriste, au lieu de tout criminaliser



en bloc en désignant indistinctement des « djihadistes » ?

Le pire, cest quà force daveuglement, cette politique de la peur que, hélas, votre pouvoir assume à son



tour, alimente sa prophétie autoréalisatrice. Inévitablement, elle suscite parmi ses cibles leur propre

distance, leurs refus et révoltes, leur résistance en somme, un entre soi de fierté ou de colère pour faire

face aux stigmatisations et aux exclusions, les affronter et les surmonter. « On finit par créer un danger, en

criant chaque matin quil existe. À force de montrer au peuple un épouvantail, on crée le monstre réel » :

ces lignes prémonitoires sont dÉmile Zola, en 1896, au seuil de son entrée dans la mêlée dreyfusarde,

dans un article du Figaro intitulé « Pour les Juifs ».

Zola avait cette lumineuse prescience de ceux qui savent se mettre à la place de lautre et qui, du coup,



comprennent les révoltes, désirs de revanche et volonté de résister, que nourrit un trop lourd fardeau

dhumiliations avec son cortège de ressentiment. Monsieur le Président, je ne mésestime aucunement les



risques et dangers pour notre pays de ce choc en retour. Mais je vous fais reproche de les avoir alimentés

plutôt que de savoir les conjurer. De les avoir nourris, hélas, en mettant à distance cette jeunesse des

quartiers populaires à laquelle, durant votre campagne électorale, vous aviez tant promis au point den

faire, disiez-vous, votre priorité. Et, du coup, en prenant le risque de labandonner à déventuels



égarements.

7. Vous avez, pour finir, commis une faute morale en empruntant le chemin dune guerre des
mondes, à lextérieur comme à lintérieur. En cette année 2014, de centenaire du basculement de

lEurope dans la barbarie guerrière, la destruction et la haine, vous devriez pourtant y réfléchir à deux fois.

Cet engrenage est fatal qui transforme lautre, aussi semblable soit-il, en étranger et, finalement, en

barbare – et cest bien ce qui nous est arrivé sur ce continent dans une folie destructrice qui a entraîné le

monde entier au bord de labîme.



Jean Jaurès, dont nous allons tous nous souvenir le 31 juillet prochain, au jour anniversaire de son

assassinat en 1914, fut vaincu dans linstant, ses camarades socialistes basculant dans lUnion sacrée

alors que son cadavre nétait pas encore froid. Tout comme dautres socialistes, allemands ceux-là, Rosa



Luxemburg et Karl Liebknecht, finirent assassinés en 1919 sur ordre de leurs anciens camarades de parti,

transformés en nationalistes et militaristes acharnés. Mais aujourdhui, connaissant la suite de lhistoire,

nous savons quils avaient raison, ces justes momentanément vaincus qui refusaient laveuglement des



identités affolées et apeurées.

Vous vous souvenez, bien sûr, de la célèbre prophétie de Jaurès, en 1895, à la Chambre des députés :

« Cette société violente et chaotique, même quand elle veut la paix, même quand elle est à létat
dapparent repos, porte en elle la guerre comme la nuée dormante porte lorage. » Aujourdhui que les

inégalités provoquées par un capitalisme financier avide et rapace ont retrouvé la même intensité quà

cette époque, ce sont les mêmes orages quil vous appartient de repousser, à la place qui est la vôtre.

Vous ny arriverez pas en continuant sur la voie funeste que vous avez empruntée ces dernières



semaines, après avoir déjà embarqué la France dans plusieurs guerres africaines sans fin puisque sans

stratégie politique (lire ici larticle de François Bonnet). Vous ne le ferez pas en ignorant le souci du



monde, de ses fragilités et de ses déséquilibres, de ses injustices et de ses humanités, qui anime celles et

ceux que le sort fait au peuple palestinien concerne au plus haut point.

Monsieur le Président, cher François Hollande, vous avez eu raison daffirmer quil ne fallait pas



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« importer » en France le conflit israélo-palestinien, en ce sens que la France ne doit pas entrer en guerre



avec elle-même. Mais, hélas, vous avez vous-même donné le mauvais exemple en important, par vos

fautes, linjustice, lignorance et lindifférence qui en sont le ressort.

URL source: http://www.mediapart.fr/journal/international/230714/palestine-monsieur-le-president-vousegarez-



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