" Mes amis , réveillons-nous . Assez d'injustices ! " L'Abbé Pierre

dimanche 12 juillet 2015

Ce n'est pas que l'euro qui risque d'imploser mais l'idée européenne elle-même !



Dans son éditorial publié le lendemain du référendum en Grèce, Paul Krugman écrit que " les technocrates européens se conduisent comme des docteurs moyenâgeux qui saignent le patient et qui voyant qu'il ne guérit pas recommandent plus de saignement ". La métaphore médicale est particulièrement adaptée. Quels que soient les défauts ou erreurs d'un patient, un médecin est censé l'aider à retrouver la santé. Ce que fait "L'Europe" c'est-à -dire les dirigeants comme Merkel, Juncker, Dijsselbloem et Hollande ainsi que les technocrates de la commission est nuisible et maintient en survie artificielle un patient qui risque de mourir, elle ne le soigne pas.

L'expertise économique des grands noms de l'université américaine ou française est là: on ne réclame pas des sacrifices énormes à une population dans un contexte de récession sinon la dépression est assurée. La réduction des déficits n'est pas une bonne politique lorsque l'économie est en récession, on le sait depuis les années 30 grâce à Keynes. L'euro a été décidé dans la hâte sans tenir compte des différences entre les économies et leurs structures différentes et il n'est pas accompagné par une vraie solidarité entre pays européens. La dévaluation n'étant pas possible, les pays qui y avaient recours autrefois, comme la France ou l'Italie, sans parler de la Grèce bien sûr, souffrent d'une surévaluation de la monnaie.

Mais "l'Europe" s'entête et fonce dans le brouillard, armée de certitudes qui pourtant s'avèrent délétères. Même certains dossiers du FMI ont montré les dégâts des ajustements structurels, les frictions entre pays résultent des écarts économiques entre eux et la crise grecque masque en fait les intérêts divergents de pays comme la France et l'Allemagne. La réduction des déficits est la nouvelle religion des Diafoirus de Bruxelles et Berlin et tant pis si elle passe par la destruction des services publics, des systèmes de santé et par la paupérisation des classes sociales défavorisées ou mêmes des classes moyennes.

Les technocrates ou économistes au service des banques alignent des chiffres qui ne renvoient à aucune situation humaine. Les soupes populaires, le nombre des sans-abris, les statistiques du suicide et les situations de précarité ne cessent d'augmenter mais il faut continuer à saigner le patient, pour son bien dans un au-delà lointain, le paradis néo-libéral que ne voient que les plus fortunés.

Après avoir saigné la Grèce, qui avait commis quelques erreurs et qui a des problèmes structurels évidents, et en coinçant son gouvernement de gauche ceux qui usurpent le nom d'Européens poursuivent leur croisade austéritaire. Qui se nourrit de cette folie qui précipite les dépressions? Les partis d'extrême droite qui tapent sur l'Europe et trouvent de multiples arguments dans les dérives des technocrates. Ceux qui se font appeler "les Européens", ce terme désignant maintenant les technocrates de Bruxelles plus souvent que les 450 millions d'Européens eux-mêmes, disent rejeter les dérives xénophobes ou nationalistes. Cependant leurs décisions ne font que les renforcer.

La droite extrême a déjà envahi la rhétorique de la droite qui, en France, usurpe le terme de "républicains" de façon aussi scandaleuse que les technocrates usurpent le terme "d'Européens". Ce que le FN veut c'est un repli nationaliste, une forteresse France aux relents xénophobes, comme le montre bien le groupe récemment composé au parlement de Strasbourg. Si nous ne voulons pas d'une Europe du repli sur soi égoïste et fermée à l'échange intellectuel et social alors il faut une Europe solidaire, sociale ou le principe dominant n'est pas le chacun pour soi, la concurrence généralisée et le moins disant social.

L'UE actuelle fait la pub du FN car elle n'a qu'une vision économique et cette vision a déjà conduit à l'échec. On pourrait imaginer un plan Marshall écologique en Europe, des plans de relance économique mais focalisés sur l'environnement avec des politiques de transport et de logement pour tous. Dans ce plan il faudrait que Paris copie Berlin en matière de logement et de pistes cyclables mais que Berlin arrête ses pollutions par les centrales thermiques et sa chimie. Pour contrer le FN, il faut plus d'Europe mais pas plus d'Europe néolibérale. Plus d'Europe keynésienne et écologique, plus d'Europe sociale et solidaire. Il s'agit de choix politiques avant tout.

Un article du Spiegel notait récemment que Schauble avait été un des fers de lance de la mise à niveau économique de l'ex-RDA et que l'Allemagne avait dépensé plus de 200 M d'euros pour sa réunification économique. Lorsque la volonté politique est là les ressources suivent. Sans volonté politique de relance keynésienne et sociale en Europe les dégâts de l'austérité vont continuer et la concurrence libre et non faussée deviendra la lutte de tous contre tous, le Sud de l'Europe ne pourra plus supporter les politiques imposées par le Nord. Ce n'est pas que l'euro qui risque d'imploser mais l'idée européenne elle-même.

L’ancien chancelier allemand Helmut Schmidt , qui n'était pas gauchiste, avait déclaré en décembre 2011 au Congrès du SPD: "les excédents allemands ne sont en réalité que les déficits des autres Etats européens". Il avait aussi accusé la politique d'austérité mise en place par Brüning dans les années 30 déclarant: "Il a conduit rien moins qu'à l'échec de la première démocratie allemande". L'histoire certes ne se répète pas, sauf sur le mode de la farce, peut-être, mais elle permet de penser le présent et de tenter d'éviter les errements du passé. Ce que Schmidt, Krugman ou Piketty comprennent devrait pouvoir infléchir les technocrates butés de l'UE. Aujourd'hui les épigones de Brüning, apprentis sorciers inconscients, nous préparent les matins bruns de la droite extrême mais se présentent en rempart contre la catastrophe qu'ils organisent.

Sur le plan mondial les thuriféraires de la démocratie, Etats-Unis et France, par exemple, ne cessent de faire des alliances avec les pires ennemis de la démocratie, comme l'Arabie Saoudite. On ne cesse de vanter les principes que l'on ne cesse de violer. Il en va de même avec l'idée européenne. Ceux qui ne cessent de se présenter en "Européens convaincus" sont indulgents vis-à-vis de la fraude ou de l'évasion fiscale et vénèrent le dieu de l'austérité qu'ils appellent rigueur budgétaire. Le roi de l’évasion fiscale , Junker , est à la tête de la commission, tout un symbole. Une façon d'aider la Grèce, comme la France ou l'Allemagne du reste, serait d'agir sérieusement contre la fraude et l'optimisation fiscale des plus riches, pas de condamner les retraités grecs à se serrer la ceinture.

Les élites autoproclamées s'avèrent aussi incompétentes que les médecins de Molière, elles n'écoutent ni les peuples, ni les analyses des élites de la science économique. Elles mettent en danger ce qu'elles affirment être leur préoccupation majeure: la cause de l'Europe. Les casseurs de l'Europe sont à sa tête, chaque entêtement néo-libéral est un marteau-piqueur qui détruit un pan et une base de confiance. Pour sauver l'Europe du danger FN ou du danger d'une évolution à la hongroise, il faut certes plus d'Europe mais moins d'Europe moyenâgeuse, moins de médecins qui recommandent la saignée, moins de Schäuble et Dijsselbloem--sauf s'il s'agit du Schäuble qui sait être keynésien lorsque les intérêts de l'Etat son en jeu. Il nous faut une autre Europe pour sauver l'Europe de ses casseurs moyenâgeux.

L'Allemagne est d'ailleurs le plus mauvais exemple dans l'histoire du remboursement des dettes. Comme le dit Piketty : "L'Allemagne est LE pays qui n'a jamais remboursé ses dettes. Elle n'est pas légitime pour faire la leçon aux autres nations." Lui aussi s'inquiète de la survie de l'idée européenne.



 

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