Bernard-Henri Lévy publie aujourd’hui, à la une de son blogue, l’intégralité d’une entrevue qu’il a accordée au journal allemand Der Spiegel. Il s’avère encore une fois tel qu’il est depuis la tragédie bosniaque, engagé, passionné, par ailleurs politiquement influent, et aux yeux de plusieurs qui le liront, certainement compromis, de fait, avec la droite néolibérale, et guerrière. Il s’est, dit-il, entretenu plusieurs fois au téléphone avec Nicolas Sarkosy. Le Président l’a écouté, et s’est laissé convaincre, de la nécessité, pour la France, de s’engager dans un « devoir d’ingérence » de type militarohumanitaire. Question d’honorer le drapeau français. Ce n’est pas rien. J’imagine que Sarkosy a aussi écouté d’autres types d’arguments. Ceci étant, BHL sait pertinemment bien que sa position rejoint celle de la droite néolibérale pour qui la guerre faite au nom de la démocratie est toujours menée dans l’intérêt objectif du grand capital, et que la démocratie confondue avec les droits de la personne est toujours indissociable de la mondialisation et des bénéfices nets de l’occident. D’où cet extrait de l’entrevue, crucial, où BHL se sépare des intérêts de l’industrie pétrolière, et conséquemment des intérêts non avoués des États-Unis d’Amérique en Afrique du Nord et au Moyen-Orient :
« Je ne suis pas certain que l’Occident avait tellement envie que ça que le printemps arabe aille jusqu’en été. Je ne suis pas certain, du tout, que l’administration américaine était unanime à vouloir se débarrasser de ce bouffon sanglant [ Kadhafi ] . Est-ce qu’il n’y avait pas, dans toute une partie de l’establishment US, l’idée qu’il y en avait marre, justement, de ce vent de révolte, qu’il était temps de siffler la fin de la récréation démocratique et qu’il fallait tout faire pour éviter que la contagion n’arrive jusque dans le Golfe et dans la ô combien stratégique Arabie saoudite ? C’était la position du Pentagone, par exemple : la Libye comme une porte coupe-incendie évitant que le feu des révoltes ne se propage jusque dans le Saint des Saints. Et c’est [la] raison pour laquelle il ne faut pas parler de « guerre occidentale » : l’occident était divisé, vraiment, sur cette affaire ; vous aviez ceux qui pensaient que la démocratie était la meilleure garantie de bonnes relations futures avec le monde arabe et ceux qui, raisonnant à court terme, se sentaient plus à l’aise, plus en pays de connaissance, avec les vieux dictateurs. »
Je n’ai pas d’objection théorique à penser ( humblement ) comme BHL. Mais le suivre, et soutenir la légitimité des opérations de guerre de la Coalition en Libye, obligent à réfléchir sur les responsabilités internationales dans l’après guerre. BHL parie que ce lendemain de guerre sera démocratique, tel que nous l’entendons dans le droit international. Mais si ça ne devait pas être le cas, que devrions-nous faire en suite logique à cette première ingérence ? C’est là que j’ai des doutes, que je m’éloigne ( je le répète, bien humblement, ) de BHL : les entreprises, les « personnes morales », les intérêts transnationaux, ne sont jamais, jamais indifférents; ce sont, toujours, et précisément, des groupes d’intérêts ; ils ne se servent des nations que pour mieux servir leurs profits ; ils sont capables, aux États-Unis, de puissantes manipulations de l’opinion publique, et parfois formulent exactement les choses telles qu'ils les conçoivent : « ce qui est bon pour General Motors est bon pour les États-Unis, et vice-versa. » En bref, contrairement à BHL, j’ai peur des lendemains de l’affaire libyenne, j’en ai suffisamment peur pour avoir été, malgré le risque de massacres énormes, de gigantesques crimes contre l’humanité, assez froid ( dans la tranquillité de mon salon ) au déclenchement d’opérations de guerre contre un pays arabe et pétrolier.
Conscient de cette critique possible, et d’évidence pas si stupide, de la décision d’intervenir en Libye, BHL précise plus loin :
« (…) Que la Ligue arabe demande une intervention alliée dans un pays de son périmètre c’est un événement majeur, y compris dans l’histoire des idées. (…) C’est la première fois, du coup, que notre « devoir d’ingérence » se voit pris en charge, mis en œuvre, avalisé dans son principe et dans ses modalités d’application, par des pays non occidentaux. On ne pourra plus en parler comme avant. On ne pourra plus nous faire le coup de la sombre manœuvre de l’Empire et du néocolonialisme déguisé… (…) On a fait un grand pas, là, vers l’idée que l’humanité est une, qu’elle n’est pas segmentée en blocs civilisationnels étrangers les uns aux autres et justiciables de droits différents. »
C’est là la grande, la très grande question, la problématique première concernant l’avenir de l’humanité, et sa pacification. Je connais des gens, intelligents, sensibles aux autres, militants à leur manière, et qui croient que le respect des libertés individuelles passe d’abord par le respect des différences culturelles, qui transcendent, par exemple, le droit à l’égalité entre les hommes et les femmes, tel qu’on le met en pratique quotidienne en Amérique du Nord, et ici même, en France. Il y a des gens, nombreux, pour qui la femme voilée n’est pas inférieure, mais différente, et qu’on ne peut pas juger à partir de critères occidentaux, même traduits dans une loi prétendument commune à tous et toutes, personnes, cultures, États, nations, civilisations. C’est le multiculturalisme qui est la grande règle de droit, qui garantit au mieux la paix entre toutes les différences.
Je ne partage pas ce point de vue. Je crois, comme BHL, qu’il ne peut pas y avoir des libertés fondamentales « justiciables de droits différents », ni dans la législation nationale, ni dans le droit international. Admettre des droits différents, maintenant, c’est comme naguère établir des « écoles séparées » ; ça ne peut évidemment pas générer une égalité commune entre tous et toutes. Et l’égalité ne peut être vraie qu’à l’intérieur de ce principe fondamental, datant de 1789, que la loi est la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire