J’ai déjà écrit ici que j’aime regarder les photos que publie la NASA. Je les observe de longs moments, comme si je pouvais m’y enfoncer, à l’affut d’un mouvement normalement imperceptible, d’une trace de vie, même très ancienne, très archaïque, et que ces parcelles d’univers me disent ce qu’elles sont, et pourquoi elles le sont. Je suis en outre fasciné par leur beauté fabuleuse, et la Nébuleuse du Crabe est certes fantastiquement belle, mais je sais que je regarde surtout ce qui est, ce qui existe, ce qui change et évolue, en dehors de ma conscience, ce qui a ses paysages propres et son étrangeté essentielle, indépendamment de ma connaissance et de ma mémoire, tellement loin de nous et pourtant maintenant visible, admirable, univers démesuré comme un fond marin qui a sa nature propre et son langage différentiel. Il n’y a pas de hasard à ce que le siècle de Freud soit aussi celui du chiffre, des sonars et du télescope Hubble, et qu’on explore l’univers comme s’il était l’espace inconscient de notre petit monde qui ne garde de ses origines lointaines que des rêves de chutes abyssales, que des formations imaginaires fantastiques et parfois abominables. Qu’a à faire de la conscience et de la morale une nébuleuse qui n’est que mouvement, énergie, chaleur, trou noir, l’expression même du plaisir absolu, à la fois pulsion de vie et pulsion de mort ? Je sais bien que lorsque je regarde ces incroyables esquisses de notre univers, je regarde en fait, fasciné, une image de ce que je sais exister, l’inconscient, inaccessible, longtemps indéchiffrable, refoulant tout en même temps le merdique et l’innommable, la métaphysique et la grandiosité. Je sais bien que c’est mon regard qui leur donne un sens et se risque à lire sur des lèvres supposées pour interpréter une parole céleste, alors qu’il n’y a pas de passeur, en tout cas pas encore.
J’aime écrire. Mais écrire quoi? J'aimerais avoir la fabuleuse imagination d’Hubble, libérer mon imaginaire des forces qui l’enferment, et raconter une nébuleuse, loin, très loin des codes moraux, et des chimères que l’on connaît déjà. Mais rien ne vient! Devant l'acte d'écrire, rien ne me vient ni facilement, ni spontanément ; au contraire, je deviens absurdement stérile, vide, comme si rien ne pouvait surgir de ma tête et s'objectiver sur papier, comme si rien n'existait en dehors de ma conscience d’être, et du souvenir de quelques débris d’inconscient, qui parfois, rarement, ont trouvé à surgir de là où ils s’étaient dissimulés. Au reste, là-dessus seulement je réussis à écrire facilement, ressassant sans cesse mon passé et cherchant à le comprendre, comme l’Histoire à laquelle il faut trouver un sens. Mais exprimer mon imagination, j'en suis aussi incapable que de vivre réellement dans la « vraie vie », et de s’y réaliser, et tout en sachant que ça finit, quoiqu’il en soit du plaisir de cette vie, par la mort, la dilution de la conscience, et l’inutilité radicale de la beauté que l’on prête à la Nébuleuse du Crabe. Quand on prend conscience de cette absurdité, bien sûr que l’on peut concevoir que tout a surgi d’un éclat parti de rien.
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