" Mes amis , réveillons-nous . Assez d'injustices ! " L'Abbé Pierre

samedi 4 juin 2011

Papa,de la part de ma soeur...

J’ai une peine immense, cette nuit. Je suis seul dans ma chambre d’hotel. C’est tranquille. J’entends le bruit sourd, un peu trop rapide, de mon cœur qui frappe, cogne, envahit toute ma tête, gonfle ma gorge, l’étrangle, m’empêche de pleurer.

Je me suis trompé. J’ai espéré un appui, une solidarité qui n’est pas venue. La banque d’amis supposés, obligée de faire quelques heures supplémentaires, bénévoles s’entend, a gardé l’épargne disponible pour elle. J’ai fait ce que j’ai pu, de la façon la plus transparente possible, avec des torrents de mots – trop peut-être, j’ai compris là-dessus que trop de mots lassent, qu’un texte trop long est lu en diagonale, que personne n’a de temps à perdre avec l’imprévu, encore moins avec les histoires douloureuses des autres. « Pourquoi toi ? » C’est classique. J’aurais peut-être dû agir autrement, me taire, ne me conformer qu’aux convenances, ne penser qu’aux autres, qu’à leur droit absolu de ne jamais être inquiété - je veux dire, ici, bousculé dans leur quiétude. J’ai risqué, je me suis trompé, j’ai perdu – ou pour reprendre ici le mot qui m’a été servi : j’ai « raté », j’ai failli, d’autres ont vite bâclé l’affaire, ce sont là des économies de faites, après tout.

On se doit d’abord aux autres dans leurs besoins, c’est évident ; mais je ne sais pas si on se doit d’abord aux autres dans leurs attentes, et spécifiquement dans ce qu’ils attendent de nous. Je ne sais pas s’il faut sacrifier ses propres besoins aux exigences des convenances, et du savoir-vivre. Honnêtement, je ne sais pas. Un besoin, ça peut être, par exemple, de dire la vérité sur soi, une fois tous les 40 ans, et de la dire de telle sorte qu’elle fasse, une fois connue, le moins de mal possible, et qu’elle pompe même, vers soi, un peu d’amour. Mais comme un texte trop long, l’amour, aussi, c’est exigeant. Dérangeant. « Je n’ai rien à voir là-dedans », ça aussi c’est un classique dans le genre, qui permet de vite débarrasser le plancher, et fuir vers autre chose, loin, très loin du misérable qui raconte son enfance malheureuse. Peut-être faut-il payer pour s’acheter le droit d’être entendu, mais que dans la vie normale, les confessions des autres, on a raison de s’en torcher, ça découle du droit absolu de chacun à sa vie privée, à sa vie régulée, avec, si nécessaire, et pour mieux se protéger dans son droit, un solide coup de pied à la « perdue »  qui ose hurler plus fort que soi. Mais de quel droit ose-t-elle prendre de la place, demander de l’écoute, et penser qu’on aimera cette « perdue » ?
Jusqu’au parole du père qui raisonne encore térriblement : « elle s’écoute tout le temps et elle aime les mélodrames,ta sœur… »

En fait, personne, jamais, ne bénéficie de quelque droit social que ce soit à la solidarité, et à une compréhension qui fasse exception aux normes. Personne, et pas davantage les victimes, pourtant craintives quand il s’agit de s’exposer aux rituels publics qui ne leur rappellent que trop, avec une angoisse terrible, le danger de se dénoncer elles-mêmes, ou de se livrer à la vengeance,à la critique publique. Cette peur, même puissamment raisonnée, est incroyablement forte. Elle génère l’évitement. De sorte qu’« on a compris que tu voulais rester chez toi, alors on a rien prévu pour toi,alors on a pensé que tu faisais ton cinema (n’est-ce pas Papa !), désolé, et comme on avait autre chose à faire, et… » (N’est-ce pas Papa !). Un troisième classique dans le genre nombrilisme.

Je ne sais pas, cette nuit, si j’ai eu tort ou raison dans ce qu’il m’a valu de « rater ». Mais je sais que j’ai été loyal avec moi, franc avec les autres. Et je sais que je me sens trahi, victime ( je risque le mot ) de colères de boutiquiers. Et une petite voix me dit que l’amour du prochain, ça vient quand il y a à gagner, chacun pour soi, et que les autres ne sont considérés que sous l’angle, strictement, de ce qu’ils rapportent, et dans la mesure où ils rapportent.


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